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Loeve&Co: Jürg Kreienbühl, Les années bidonvilles
jeu. 07 janv.
|Loeve&Co
Heure et lieu
07 janv. 2021, 19:00 – 27 févr. 2021, 19:00
Loeve&Co, 15 Rue des Beaux Arts, 75006 Paris, France
À propos de l'événement
Jeune peintre bâlois, Jürg Kreienbühl est arrivé en France en 1955. Pendant vingt ans, les bidonvilles de la banlieue parisienne et leurs habitants, au milieu desquels il vivait, ont été ses sujets exclusifs. Morbide et boulimique, il a exploré tous les territoires du dessin, surtout les plus noirs.
Communiqué de presse disponible ICI.
Visuels HD pour la presse sur demande par email à and@loeveandco.com.
Entre 1956 et 1981, le peintre bâlois Jürg Kreienbühl (1932-2007) a vécu et travaillé dans des bidonvilles de la région parisienne, dont il a peint sans relâche et sur le motif tous les aspects de la vie quotidienne.
Quatre ans plus tôt seulement, il avait abandonné ses études de biologie pour s’inscrire aux Beaux-Arts. Fasciné par le cycle de la vie et de la mort, ses centres d’intérêt étaient devenus obsessionnels: je réussis lentement à maîtriser les sujets qui m’obsédaient, j’avais peint un rat crevé, dont on pouvait distinguer les poils et la vermine grouillant dans la gueule ouverte, se remémore-t-il en 1971.
Décharges, déchets, pourritures, décompositions, charognes, monstres dans du formol, carcasses, ruines, bidonvilles, espaces abandonnés, banlieues tristes, marginaux, alcooliques, pollutions, cimetières, arbres morts, crânes, poissons crevés en masse dans le Rhin, luna-parks glauques et désertés, statues brisées..., le portrait de la société dressé par Jürg Kreïenbuhl, dès sa sortie de l’adolescence, est en effet celui d’une véritable cour des miracles.
Paris, en ce mitan des années 1950, attirait les jeunes artistes du monde entier, dont ce boursier, pétri de conscience sociale et d’ambitions réalistes. Mais Jürg Kreïenbuhl tombe de haut, en découvrant les peintres français de sa génération, réunis dans cette seconde École de Paris, qui signe le triomphe de la peinture abstraite, entre paysagisme abstrait et tachisme.
Cependant, comme le raconte son premier collectionneur, le chaudronnier et écrivain anarchiste Georg K. Glaser Kreienbühl n’était pas venu à Paris pour peindre, comme tant d’autres, Notre-Dame et les coins pittoresques des vieilles rues. Il était bouleversé par les évolutions de notre temps qui marquaient la banlieue et était décidé à se faire le témoin de cette transformation due à la technique, qui laissait apparaître les coulisses de la frénésie productive où s’accumulaient les déchets qu’on avait du mal à cacher.
Kreienbühl quitte donc le centre pour les marges. Sur sa bicyclette il part à la découverte de ces banlieues à la fois si proches et si lointaines. Colombes, Argenteuil, Sartrouville, Gennevilliers, puis Bezons, où il finit par s’installer, au cœur d’un bidonville, dans la carcasse d’un autobus Air France. C’est là précisément, en 1959, qu’il peint ce qui pourrait être son tableau-manifeste La Cour des miracles, à propos duquel il précise, avec ce mélange de lucidité froide et de sollicitude qui caractérise aussi son art: Ici, j’ai vécu durant quatre ans. Un grand terrain privé, alimenté par un seul robinet d’eau, était loué en parcelles avec l’électricité pour les personnes qui la désiraient. Le patron, surnommé l’Auvergnat, faisait la loi. (...) Une société cosmopolite s’était constituée dans cette sorte de grande cour où étaient entassés: gitans, algériens, portugais, polonais, français, chiens, chats et rats. J’ai peint ce tableau à travers la fenêtre de mon autobus hors d’usage, qui me servait d’appartement et d’atelier.
S’ensuivent plus de vingt années d’une peinture aux qualités chirurgicales, dressant sur le vif un portrait extraordinairement fouillé de ces ultimes refuges réservés à ceux que la Ville Lumière rejette dans son ombre: tout y est, en un raccourci saisissant, l’urbanisme, l’architecture, les intérieurs, les habitants, la vie quotidienne, les menus, les loisirs, le moindre objet... tout un écosystème entièrement parallèle à celui du dessus: le monde souter rain des parias. D’une précision extrême, jamais angélique, toujours à hauteur d’homme, cette peinture est parvenue alors à ce point, théorisé par Kreienbühl lui-même, où l’artiste, la toile et le public forment de par leur destin une seule unité.
Vivant, travaillant et exposant dans ces banlieues, Kreienbühl a réalisé son œuvre in vivo. En ne peignant et dessinant que ce qu’il voit et, même mieux, ce qu’il vit. Son art réfractaire et assoiffé d’absolu et d’humanité est tout entier dans cet aveu: Je ne pouvais admettre qu’un cercle déplacé d’un millimètre de plus à gauche ou à droite sur une toile où tout n’était dû qu’au hasard, puisse avoir une importance capitale. Je ne ressentis que plus tard la nécessité d’une précision infiniment plus subtile, lorsque je peignis une bouche qui avait aimé et souffert.