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Rires noirs
lun. 22 juin
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Loeve&Co-llect: Onzième semaine, Onzième thème. Et toujours, chaque jour à 10 heures, du lundi au vendredi, une œuvre à collectionner à prix privilégié, disponible uniquement pendant 24 heures. Collectionner n'a jamais été aussi enrichissant...
Heure et lieu
22 juin 2020, 09:59
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À propos de l'événement
Semaine 11: Rires noirs
Si l’on en croit les dictionnaires, l’humour noir soulignerait avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde, face à laquelle il constitue quelquefois une forme de défense. Le quelquefois semble un euphémisme, et aurait pu être remplacé par toujours... Tout l’humour noir, des Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon aux sketches de Pierre Desproges sont des déclarations de dignité, selon l’heureuse expression de Romain Gary, pour qui l’humour est une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive.
Il faut s’y habituer; hors le Surréalisme lui-même, difficile de s’aventurer sur les chemins buissonniers de l’histoire et de l’inventivité artistique (artistes bruts ou populaires, extra-occidentaux, singuliers érotomanes et tant d’autres) sans finir par tomber sur André Breton. Loin de l’image figée et rigoriste du Pape du Surréalisme, excommuniant à tour de bras, celui qui fit acheter en 1924 Les Demoiselles d’Avignon au collectionneur couturier Jacques Doucet est resté sa vie durant un extraordinaire détecteur de tendances et de talents picturaux, faisant alterner dans les années 1950, notamment sur les cimaises de sa galerie À l’Étoile Scellée, l’Art Brut ou médiumnique de Kopac ou Crépin, les fantaisies érotiques de Molinier et Trouille avec les expressions lyriques naissantes de Degottex, Hantaï ou Reigl.
Comment, dès lors, s’étonner que revienne à un tel intellectuel, même aussi peu porté sur la rigolade que Breton, le mérite d’avoir théorisé et fait entrer dans le dictionnaire l’humour noir? Faisant suite à sa conférence sur le sujet, donnée à la Comédie des Champs-Élysées le samedi 9 octobre 1937, il en dresse et publie une anthologie en 1940. La première édition étant frappée par la censure du régime de Vichy, elle n’est réellement diffusée qu'à partir du milieu de l’année 1945, puis en 1966 est publiée son édition définitive chez Jean-Jacques Pauvert.
L’expression humour noir est née sous la plume du critique et romancier Huysmans, dans un autoportrait à la troisième personne signée A. Meunier, publié en 1885 dans Les Hommes d’aujourd’hui, dans lequel il caractérise ses propres œuvres par la présence d’une pincée d’humour noir et de comique rêche anglais. Si l’expression est pittoresque, André Breton lui donne dans son anthologie une définition bien plus précise: L'humour noir est borné par trop de choses, telles que la bêtise, l'ironie sceptique, la plaisanterie sans gravité... (l'énumération serait longue), mais il est par excellence l'ennemi mortel de la sentimentalité à l'air perpétuellement aux abois – la sentimentalité toujours sur fond bleu – et d'une certaine fantaisie à court terme, qui se donne trop souvent pour la poésie, persiste bien vainement à vouloir soumettre l'esprit à ses artifices caducs, et n'en a sans doute plus pour longtemps à dresser sur le soleil, parmi les autres graines de pavot, sa tête de grue couronnée.
Sentimentalité et fantaisie à court terme: les voilà frontalement désignés, les ennemis jurés! L’humour noir est une forme de contestation radicale, révolutionnaire, même, fidèlement à l’idéal insurrectionnel surréaliste. Pour Breton, ce registre exprime la révolte supérieure de l’esprit qui, face à la souffrance, cherche à substituer le plaisir à l’horreur. Pour Breton, cette attitude défensive constitue une valeur non seulement ascendante entre toutes, mais encore capable de se soumettre à toutes les autres jusqu’à faire que bon nombre d’entre elles cessent d’être universellement cotées.
Dans la lignée du plagiat par anticipation cher aux surréalistes, on peut avancer que L’Anthologie de l’humour noir n’aura été qu’un préambule à l’explosion de Hara-Kiri, créé en 1960 dans le sillon inauguré par Bizarre, la revue fondée au printemps 1953 par Michel Laclos chez Éric Losfeld. Surréalisme et ’Pataphysique en sont quoi qu’il en soit les mamelles, Maurice Henry et son cadet Roland Topor jouant les premiers rôles sur les fronts baptismaux, car ils ont été, ainsi que le résume le critique et historien Pacôme Thiellement, redéfinis et resitués dans une histoire monumentale de l’humour cruel (de même qu’un écrivain créé ses prédécesseurs, Hara-Kiri, a lui seul, a inventé l’humour bête et méchant à travers les siècles). (…) Hara-Kiri existait avant 1960, errant depuis toujours quelque part entre les galaxies swiftiennes et chavaliennes, bosciennes et jarryques, mais elle n’avait pas encore été découverte. Il a fallu les observations conjuguées des professeurs Cavanna et Choron pour l’entrapercevoir, au loin, menaçant la Terre comme l’étoile Absinthe de L’Apocalypse. Viens, planète Hara-Kiri. Viens étoile cruelle et tendre. Tu ne seras jamais assez tendre pour réellement nous faire souffrir. Tu ne seras jamais suffisamment cruelle pour cesser de nous faire rire. (…) Hara-Kiri est d’abord une succession de refus: refus du calembour (ce tic de petits vieux), refus du gag (avec sa chute), refus de l’allégorie. De fait, il n’y aura presque pas de calembours dans Hara-Kiri, quelques gags quand même (mais les chutes suspendues, glacées, de Copi sont les plus belles), et aucune allégorie, sauf une: la totalité de l’aventure, qui apparaît comme la gigantesque allégorie d’une planète en train de s’éventrer comme le petit japonais tout rouge – tout à fait cohérente avec le monde des cinquante dernières années. Le petit japonais qui se fait seppuku, c’est le miroir de la Terre. Bienvenue sur la planète suicide.
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